J’ai un truc en moi, une sorte de réflexe mental malsain. En fait je me surprends souvent à imaginer ce que je pourrais faire de pire dans la situation dans laquelle je me trouve. Par exemple quand je suis au volant avec ma copine, je sens que je pourrais tourner le volant d'un coup sec et nous tuer tous les deux, peut-être qu'on ne mourrait pas tout de suite et qu'on souffrirait longtemps en se regardant dans les yeux. J'imagine sa surprise, son incompréhension, sa terreur en me voyant nous envoyer en l'air. Ça me fait ça dans les salles d'attente aussi, quand les gens sont calmes et pas attentifs. Je suis toujours à deux pas de me lever, prendre la tête d'un gamin, lui mettre mes doigts dans ses yeux, le faire crier, jeter son corps sur sa mère qui ferait tout pour m'empêcher de lui faire du mal mais ce serait trop tard. Ça m'arrive quand je fais l'amour aussi, quand elle me regarde parfois aussi, je sens que je pourrais la jeter de toutes mes forces, lui enfoncer mon talon dans sa mâchoire. Je te dis ça parce que je pense que c'est normal, je pense que ça arrive à tout le monde un jour ou l'autre d'avoir ce genre de pensées et que tant qu'on ne les concrétise pas ça n'a pas d'importance. J'en ai jamais parlé à personne. J'ai peur que le fait d'en parler ça rapproche les pensées de la réalité. Je suis persuadé que tout le monde pourrait avoir un déclic de violence pareil. N'importe où. N'importe quand. Et si personne n'a ce genre de pensées, alors je me rassure en me disant que tant que je n'ai pas concrétisé, c'est que je reste une bonne personne au fond de moi. Peut-être même une meilleure personne que quelqu'un qui n'aurait pas été confronté à ce choix de ne pas faire de mal. Est-ce que tu vois ce que je veux dire ? Dis-moi que tu vois ce que je veux dire.

Ça fait longtemps que je voulais vous écrire ça à tous les deux. J’ai pris du temps parce que c’est pas facile à dire. C’est surtout pas facile d’admettre ses erreurs. Surtout quand elles sont aussi grosses. Et c’est pas facile de dire aux gens qu’on les aime. Du coup c’est plus facile de vous l’écrire que de vous le dire en vrai. Je suis désolée. Je suis profondément désolée de vous avoir causé autant de tort et autant de mal. Avec le recul, je me rends compte que ça a dû être terrible pour vous. Je ne sais toujours pas dans quelle spirale j’ai pu tomber, je n’ai rien vu venir. Je ne sais pas où ça a pu commencé. Je ne sais pas où ça a pu coincer. Mais il s’est passé quelque chose dans ma tête. Une sorte de virus qui grandissait, et je trouvais rien. Le mal-être. Et ça c’est pas de votre faute. Vraiment. Je vous le dis parce que je suis sûr que vous avez dû retourner mille fois cette question dans votre tête. Qu’est-ce qu’on a fait pour mériter ça? À un moment donné, j’en ai eu marre de vous parce que vous étiez toujours sur mon dos. Toujours à vouloir savoir où j’étais, ce que je faisais. Ça me rendait folle. Je me sentais pas libre. J’avais le sentiment de ne pas correspondre aux critères de la fille modèle de vos rêves. J’ai été dur avec vous parce que je voulais que vous compreniez que je n’avais pas besoin de vous pour m’en sortir. Aujourd’hui, je sais que j’avais tort. Je comprends qu’il n’y a rien eu de mal derrière vos actes, derrière vos paroles. Vous vouliez simplement me protéger et vous avez bien fait parce que sans vous je serais pas là aujourd’hui. Vous avez toujours été là pour moi. Vous avez volé à mon secours à chaque occasion. Je suis fière d’être votre fille. Je suis fière de vous avoir vous comme parents. J’espère que vous aussi vous êtes fiers de moi. J’espère surtout que vous n’avez plus honte.
Je vous aime.

Je sais que ça a été difficile pour toi. Je l’entends. Je l’ai compris. Enfin « compris », façon de parler.
Mais il faut que tu saches que ça a été aussi difficile pour moi. Différemment mais ça l’a été et sans nul doute que ça l’est toujours. Je suis contre. Les gens font ce qu’ils veulent chez eux. C’est pas mon problème. Je suis contre. Profondément contre. Mais t’es ma fille. Et ça, rien ne saurait le changer. Je t’aime et je te soutiendrai quoiqu’il arrive. Je suis là pour te soutenir quoi que tu fasses, quoi que tu décides d'être. Même si je sais que tu n’as pas décidé d’être comme ça.
Ce que je veux dire c’est que tu peux tomber enceinte d’un crétin, je serai là, tu peux tuer quelqu’un, je serai là, tu peux même voter nazi, je serai toujours là. Alors tu vois, que tu puisses aimer une fille ça ne change pas ça. Évidemment je suis maladroite comme toujours, j’ai pas l’habitude de faire ce genre de déclaration, et c’est pas vraiment comparable aux exemples que je viens de donner. Mais en gros, je suis heureuse si tu l’es. Même si c’est pas de la manière dont je voudrais. Je m’en veux de ne pas l’avoir vu et compris plus tôt. Ou d’avoir fait comme si je n’avais pas compris. Ça aurait été plus facile pour toi et pour moi aussi. On aurait crevé l’abcès d’emblée. Je m’y attendais pas du tout. Mais jamais je n’aurais imaginé que ma fille puisse être lesbienne. C’était pas dans mes plans. Bref.
C’est bête hein mais quand vous emménagerez ensemble, je veux bien être là pour choisir le frigo. Sérieux ! Je n’ai plus honte. Je ne crois pas.

Mais non, je ne fais pas semblant. Quand j’angoisse parce que je veux pas que tu partes c’est pour de vrai, quand j’ai les yeux qui brillent juste parce que je te regarde c’est pour de vrai. Ça me tue que t’arrives pas à y croire. Tu peux pas dire que je me crois dans un film. C’est moi, je suis moi, je suis comme ça, j’agis comme ça, je fais pas exprès, ni semblant. Quand je te dis que je t’aime, j’ai pas en tête une scène de comédie romantique à deux balles. Peut-être que c’est toi qui as vu trop de films, et t’arrives plus à voir la réalité comme elle est vraiment. Tu peux pas dire que je suis plutôt “émotion” et que toi t’es plutôt “réflexion”, tu te rends pas compte de ce que ça veut dire. Regarde je vais te montrer que moi aussi je suis “réflexion”, et que toi t’es aussi “émotion”. Sinon qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que tu sais si tu m’aimes ? Est-ce que tu ressens quelque chose ? Ou pas ? Est-ce que c’est ça que tu veux me faire comprendre ? Quand tu me dis que tu m’aimes, est-ce que c’est pour de vrai ? Tu te rends compte, ça ferait des années maintenant. C’est pas possible de douter aussi longtemps.
Et ça me tue parce que maintenant que c’est dit, comment est-ce qu’on va pouvoir se dire qu’on s’aime sans avoir ce doute, ce doute dans la tête ? Alors peut-être que c’est comme ça que toi tu as toujours vécu, et franchement ce serait horrible, mais regarde-moi, moi je t’aimais pleinement, et je veux t’aimer toujours, sans aucun doute, mais maintenant j’aurais toujours ce doute, ce doute dans ma tête, et je veux pas. Je veux vraiment pas ça douter, tu comprends ? Crois moi, s’il te plaît, je veux qu’on passe notre vie ensemble, je veux qu’on vive pleinement notre relation, sans aucun doute, je veux qu’on fusionne. Je veux avoir foi en nous. Je crois en nous. S’il-te-plaît dis-le moi que toi aussi tu crois en nous.

Calme-toi, écoute-moi. C’est pas une question de croire en nous. C’est pas une question de foi. Au contraire, il faut douter pour séparer le vrai du faux. C’est une question de réalité. C’est juste que je doute tellement que je me demande si je suis réel. J'ai toujours eu à la fois un puissant désir de vivre des passions, des choses fortes et grandes, et en même temps je suis très exigeant. Je veux que mes émotions elles soient vraies. Je me pose souvent la question de : "est-ce que je ressens vraiment ça ou est-ce que j'ai juste envie de ressentir ça?". "Est-ce que ces frissons proviennent vraiment de cette musique ou est-ce que j'ai juste envie d'avoir des frissons?”, "Est-ce que je suis vraiment amoureux ou est-ce que j'ai juste envie d'être amoureux?". J'ai l'impression que si je fais pas assez attention, je pourrais me transformer en une version faussée de moi-même, un personnage de film mal écrit, et c’est pour ça que c’est un exemple qui ressort souvent entre nous. En fait, je sens qu’il m’arrive de faire semblant de vivre des choses plus belles, plutôt que d'accepter la réalité, qui peut être un peu fade parfois, et c’est pas du tout quelque chose que je veux laisser faire. Et du coup j’ai l’impression que tu te laisses trop faire. Peut-être que je suis trop exigeant et que je te suspecte trop de faire semblant, mais c’est très important pour moi qu’on soit complètement sincères l’un envers l’autre. Je veux pas t’aimer pour t’aimer, je veux t’aimer pour de vrai. Tu vois je doute de tout mais il y a au moins une chose dont je suis sûr c’est que je veux t’aimer pour de vrai.
Et tu vois quand je dis ça j’ai quand même l’impression que c’est cliché, que ça sort d’un film, que c’est pas la réalité. Je sais pas...

C’est toujours pareil avec toi, on peut pas discuter. Tu pars au quart de tour : il suffit d’un rien pour que ça en devienne énorme. Parfois je me censure. Je préfère me taire pour te plaire ! Je pense à tout ce que je dois dire avant. Je réfléchis pour savoir si tel ou tel truc est bien à dire, si c’est pas insultant pour telle ou telle personne. Et si, j’ai le malheur d’échapper un truc sans m’en rendre compte. Alors là, c’est la cata. Tu t’embarques dans un argumentaire de dingue. Avec lequel tu sais pertinemment qu’on peut pas te dire que t’as tort. Et c’est en ça que c’est très énervant parce que tu le sais. Tu sais que tu as raison. Mais parfois je te l’accorde c’est justifié. Et c’est bien ce que tu fais. C’est important et je suis fière d’être ta pote parce que t’as un discours qui compte et le recul que tu as tout le monde ne l’a pas. Ça permet de remettre les choses en perspective et j’ai l’impression que quand la personne est pas trop bornée en face de toi et bien ça marche ! Il y a un débat, une ouverture. Mais t’abuses ! Et trop souvent.
Et parfois c’est flippant, je te jure. La dernière fois, t’as fait culpabiliser Emilie parce qu’elle avait sorti cette blague. Ok, c’était une blague douteuse et elle aurait pu s’abstenir. Mais franchement ! C’était si grave que ça ? T’étais obligée de l’afficher comme ça ? Il fallait que tu l’achèves devant tout le monde avec ta morale à la con ! J’avais honte.
Arrête de te cacher derrière ça s’il te plaît parce que franchement c’est chiant et c’est pas intéressant. Mets-toi un peu en danger. Laisse-toi surprendre. Personne va t’en vouloir de dire une connerie. C’est humain. C’est presqu’un besoin. On est tous pareil. Il y a pas de palmarès, c’est pas une compétition. 
Parce qu’à la fin, ce sera la même chose pour tout le monde.

Je suis désolé hein, mais j’accepte pas du tout que t’étales nos vies comme ça. J’entends ce que tu me dis, que ça te fait du bien d’exprimer tes malaises, que la forme de l’art a un effet cathartique, et tout et tout. Mais là c’est moi qui suis concerné par ce que tu racontes. Et je veux pas que le monde entier soit au courant de mon intimité, ni de notre intimité. Tu pourrais juste écrire et garder pour toi, je ne comprends pas du tout pourquoi il faudrait crier nos problèmes sur tous les toits pour les résoudre, c’est vulgaire, c’est... exhibitionniste... c’est violent ! En plus le fait que tu ne m’en parles pas avant de publier ça me choque profondément, c’est du vol ! J’ai l’impression de m’être fait trahir par la personne la plus proche de moi ! Et quand tu rajoutes l’idée que t’essaie de faire percer ta carrière en utilisant ça, en nous utilisant... C’est comme si tu commercialisais notre relation... Je le sens vraiment comme si t’avais pris ce qui nous rapproche, ce qui nous rend fragile, ce qui n’appartient qu’à nous, et que tu nous l’avais arraché, lavé, emballé dans du plastique et disposé en rayon à la portée de n’importe qui pour 9,99€ avec une promo de -20%. Ça me rend dingue. C’est pas possible. C’est pas possible. Je te préviens, il est hors de question que tu capitalises sur notre rupture.

En fait, je crois que je t'ai jamais aimé. Je me suis laissé guider et j'ai pas dit non. Je sais que c'est moi qui ai fait le premier pas en quelque sorte, mais je sais pas, je pense que je pouvais plus supporter d'être seule. D’ailleurs, c'est aussi la raison pour laquelle je reste avec toi : je suis terrifiée à l’idée d'être seule à nouveau. Ne le prends pas mal, j'adore ton odeur, j'adore ta peau, j'adore passer des moments avec toi, tu me plais beaucoup, mais c'est juste que c’est pas comme quand j'avais quatorze ans. Je ne retrouve pas ce truc grandiose qui me captivait entièrement. Je sais pas si on perd l'amour en grandissant. On dit que les adolescents sont plus passionnés que les adultes mais je sais pas. Je pense pas. Du coup je me demande si ça veut pas juste dire que t'es pas le bon. Mais je suis pas sûre. En fait, d'un côté j'espère que je t'aime, juste d'une manière différente de quand j'étais enfant, et d'un autre côté j'espère que je peux aimer autant à nouveau et qu'il faut juste que je trouve quelqu'un d’autre. Mais en attendant je reste avec toi. J’ai envie de rester avec toi. J’ai pas envie d’être seule. Je t'aime.